Tout va bien

Respire, tout va bien. Pourquoi cette oppression ? Cette sensation d’étouffement ? Ces choses que tu exècres et qui s’accumulent, qui pullulent. Pourquoi cette complexité, cette sophistication bête et inutile ? Tant de confusion, tant d’énergie à perdre. Ce carcan, ces ligaments, cette lie au fond de ton âme. Les nerfs qui claquent, la bouche qui engloutit sans réussir à avaler. Tu te sens si étroite dans ce corps de pierre. Comprimée dans ce monde de merde. Tu te noies dans tes volontés contradictoires, tu te dérobes à tes propres sortilèges, tu t’empoisonnes pour te guérir et tu ne fais rien. Tu es guindée à n’en plus finir. Pourquoi tu t’excites ? Pour ne pas avoir à faire face à la vie ? A force d’esquiver, tu te trompes et tu tombes. Tu finis hors du coup. Et tu n’as plus envie de te relever. Tu es lâche, comme la corde d’un instrument perdu. Tu attends et tu ne sais plus ce que tu attends. Tu ne veux pas demander car personne ne te donne ce que tu voudrais. Les gens t’oublient si vite, si vite, c’en est effrayant. Tu fantasmes pourtant, les gens sont simplement oubliables, toi-même tu les oublies, tu devrais t’y faire. Et réclamer ta part de vie. Quelle énergie ça te coûte ! D’être en vie. Pourquoi tant de faire. Tu aimerais juste être. Mais pour être il faut faire. Et tu ne veux rien faire. Alors tu ne serais rien. Tu t’exclames, tu t’indignes, et puis non, finalement ça t’étouffe, simplement. Ca te consume par les deux bouts. Les gens traînent leur vie, traînent, sans but, sans accrocs. Tes cheveux te tirent par le bas, tes bras s’agglutinent à tes pieds, tes yeux fixés vers le haut pleurent de ne pas savoir se fermer. Tu cries, tu voudrais bien, et il n’y a rien. Tu te sens encore lâche et abandonnée. Tu penses que c’est ta faute. Qu’il y a une faute quelque part. En réalité, tu ne sais pas te détourner. Tu ne sais pas plonger. Tu ne fais que t’écraser. Tu serres les dents. Tu ne sais pas être hermétique. Tu es une vie malade. Cahotante. Quel cinéma.

à-coups

elle n’est pas loin
peut-être que ça finira bien
pour elle
ça finira
dans tous les cas

la vie tremble dans les paupières
roule sur les pieds
écrase le coeur
assèche les sens
elle n’avance pas
elle se précipite

que de routes
sans issues
que de murs
se frapper la tête
contre la vie
contre la mort
s’essouffler d’avance
d’avoir trop couru
à tire d’aile

et le gouffre
dans sa bouche
qui s’étend
à lui casser les dents
qui la ronge
jusqu’au sang

elle avale ses ennuis
elle déglutit
et dans un râle noir
le monde s’enfuit

c’est fini

je suinte

j’ai tellement honte d’être

Tant pis

les gens dans leur tissu
moi trouée je ne
bouche
rien
je vide

là haut, au fond du gouffre
l’écho de mes larmes
ricoche contre mes yeux
je souffle
j’étouffe

je suis une plaie
je bourgeonne et je saigne
je m’infecte
je démange
mais rien ne change
je ne guéris pas
je ne sais pas

je crains

si seulement
si seule
j’étais quelqu’un

il faut que ça s’achève

Il fait nuit

Il fait nuit, le froid est tombé, j’en ai les mains qui en tremblent, mais je me sens être

Une odeur vague, familière, qui tourbillonne devant mes yeux fatigués

La sensation d’être égarée et de me laisser vivre

L’impression d’être moi, au milieu de moi, médiocre

Le soufre s’est dissipé, me reste un peu de rance au fond de la gorge

L’amertume du rien, le vide qui ne s’éteindra jamais, qui vacille, inconstant, futile et profond

Je suis déraisonnablement sage

J’ai peur souvent, encore

Mais j’aimerais, je pense

c’est tout

un goût de cendres mal éteintes qui fait mal aux yeux, la vie qui s’étend au loin, grisâtre et sourde, les pieds moites, le cœur agité de saccades, le lourd roulement des paupières sur des larmes sèches, la vie pesante, la mort lancinante, le souvenir aigu et frais, la froideur aujourd’hui, le poids du néant au fond de la gorge, la chaleur d’une douleur pénible, sans issue, les rires gais, agaçants,
je voudrais mais je ne peux pas
vivre
je ne suis pas libre
il y a des rictus que l’on guette et que l’on exècre, des regards qui ne disent rien, des silences qui s’affutent au son des sanglots, des rires qui se jouent des mots, des rêves qui s’égrènent en maux d’âme, impossibles, irréversibles, inconstants et frivoles
j’ai peur
ces sourires en forme de lames vont me trancher la gorge, et je vais en mourir
il y a trop en moi qui étouffe

Sans transition

la vie
décharge
électrique et nauséabonde
détruis-tu
tous les rêves
nos mers arides
s’effraient du peu de souffle
mourir d’hier
demain plaisante
et la faim s’absente
le mal est avancé
s’exclament les pauvres nés
loin
j’exècre ces eaux âcres
la crise croît
et toujours il fait froid

Des épines plein la bouche

(1)

C’est drôle, il a perdu des mots qui sont tombés de sa bouche en chemin, il s’est retourné, il s’est pris une grande claque de vent en pleine figure. Il a resserré sa veste autour de lui, ses lèvres se sont étrécies, épaissies, affaissées. Quelques gouttes de vent se sont échappées de ses yeux. Il a couru loin, à reculons, il ne voulait plus y aller. Il voulait revenir à ces temps malheureux où il ne savait que dire. Là, au moins, on ne pouvait le blâmer de ne pas savoir faire.

J’ai mangé tout ce qu’il y avait à croire. Le vomi m’est sorti par le nez, j’ai cru étouffer. Il pensait souvent à cela. Maintenant, il n’attendait plus qu’une vague diarrhée verbale diachronique pour le sauver.

Il a tourné à gauche – la droite lui faisait trop mal, et tout droit, c’était perdu d’avance. Il s’est écroulé dans une crevasse et s’est noyé dans une flaque. Il a crachoté un peu de ses souvenirs d’antan et puis il a continué de reculer. Il voulait sauter, au fin fond du gouffre.

Une enclume est tombée entre ses deux omoplates. Il a écrasé ses gémissements avec le bout de sa chaussure, il a craché dessus, il s’est mis à rire. Puis, un genou à terre, il s’est relevé, il a essuyé ses lèvres, encore congestionnées ; la vie ne résoud pas grand chose. Au mieux elle dénoue. Au pire elle coud ton ventre contre ton coeur, et tu n’arrives plus à respirer.

La digestion est toujours difficile.

En secret

La vérité toute nue n’est qu’une bouffée de larmes. Elles bouillonnent dans ma bouche et me laissent beaucoup d’amertume. Le bord des yeux s’incline, à force d’avoir trop soupesé ces choses-là. Ces victimes infinies d’insouciances fugitives. Je ne sais pas si j’y arriverais. A y croire. J’aurais envie que les choses s’arrêtent pour acquérir une certitude. Dans la solitude, au moins, il n’y a que soi, il n’y a rien. Je m’évide de tout soupçon. Je m’éventre à en perdre haleine. Et toujours les mêmes salmigondis qui reviennent, qui pataugent. Je perds du temps, je me perds. Dans la nuit j’écoute le noir. Je broie l’air nocturne sous mes dents qui claquent. Je me demande si j’irais jamais nulle part. Je piétine dans mes mots. Je ne sais plus qui je suis, si cela vaut le coup d’être perdue. J’aimerais tant – au conditionnel, beaucoup d’espoirs, une aspiration, un rêve incertain. Impossible à formuler. Je voudrais. Je ne sais quoi. Au bout de mes doigts, il y a le vide. Attraper quelque chose, ce serait bien. Je ne sais quoi. Je croasse bêtement, je coasse froidement. Des petites perles glacées, coincées dans ma gorge. Des pierres ciselées, imparfaites, qui me rongent, qui deviennent maladives et sans âme. Je ne résouds rien. Je m’épanche, j’étanche ce que je peux. J’essuie mes joues. J’attends.

Sourire

J’étais en primaire. En CE1, il me semble. J’étais chouchou de mon professeur. J’avais une bande d’amies farouchement décidées à me materner. Pendant longtemps, j’ai suscité un sentiment maternel chez mes copines – jusqu’à ce que je me décide à être méchante. J’étais petite, fluette, frêle. Je le suis toujours un peu. Mais maintenant je regarde, fixement, dans le vague, je crois, et je souris avec un soupçon de tristesse ou de moquerie – cela refroidit, souvent, les ardeurs caressantes qui me verraient comme un petit animal à protéger. Je suis toujours un petit animal – mais farouche, nerveux, sensible. Je sais me faire caresser dans le bon sens du poil – mais je m’éclipse, j’évite, très vite, je m’essouffle, je glisse. Je veux disparaître. En CE1, une fois, une fille de la classe de CP m’a dit que je ressemblais à un vampire. Je ne pense pas avoir été tellement blessée par la remarque. Je ne savais comment la prendre. En vérité j’avais un trou dans mon sourire. Je n’ai pas eu d’incisives supérieures jusqu’à l’âge de 8 ou 9 ans. Me restaient seulement les deux canines. Et plein d’autres dents cassées dans mon sourire. J’ai très peu souri sur les photos de mon enfance. Je riais plutôt à gorge déployée quand, parfois, on me prenait sur le vif. Mais sinon – je mâchais mes dents pour les faire disparaître, la mine inquiète. Je n’ai pas été blessée par le fait d’être vampire – mais tout le monde autour de moi s’est offusqué à ma place et a forcé cette gosse de CP, qui ne pensait pas forcément à mal – je me souviens encore son visage, ses cheveux noirs et bouclés, ses lunettes, son air désinvolte, qui ne savait pas ce qu’elle avait fait de mal. Et toutes ces voix, vindicatives – excuse-toi, etc. J’ai commencé à souffrir à partir du moment où j’ai vu tout le monde s’énerver pour moi. J’ai souvent ressenti les choses à rebours. Si la réaction du groupe avait été autre – comme quoi, je sais pas, si on avait trouvé qu’un vampire ça peut être sexy et classe, ainsi que je le pense aujourd’hui – j’aurais pu prendre la chose avec plus de légèreté. Mais il fallait souffrir de cette brimade. Aujourd’hui je suis toujours un vampire. Je le suis pour de bon, à dire vrai. Je veux boire le désir, l’amour des autres jusqu’à la lie. Je dévore du regard le monde, les détails, les riens. Je me désespère toujours de n’être pas suffisamment en vie. Je ne souris jamais à pleines dents. Je ris, surtout. Je continue d’avoir cet espèce de pincement à chaque fois qu’un sourire me prend. Je souris souvent de manière incompréhensible. Rares sont les personnes qui parviennent à me faire sourire. Et à me faire sourire joyeusement, me faisant oublier ce brin d’amertume qui me pince les sourcils.