frêle

les souvenirs
se froissent
à venir
sans sourire
rares
s’éclaircir
sans voile
à l’aube
aux étoiles
loin
l’adieu
les jeux
d’avant
ne sont plus
souvent
il est mort
longtemps
aux éclats
la poussière
le vent
soyeux était
joyeux

ces mains tendres
sont vides
d’attendre

Abri

C’est bien étrange, toute cette continuité. Tous ces liens qui se tissent, mine de rien. Du néant. De ces mots qui se répètent, de ces formules qui s’entrechoquent – je me relis encore, je me surprends à sourire de mes larmes sèches. Il faut que je purge, j’aimerais écrire, je n’y arrive plus, il faut bien que j’affronte pourtant – le roman de ma vie, de mes nuits, de mon adolescence, d’antan. Il faut que ça s’achève, peut-être sur du papier, mais enfin il faut que ça s’arrête, que ça meure pour renaître ailleurs.

J’aime, j’en ai assez. Je voudrais simplement être je sans avoir besoin d’un tu, car le tu me tue trop facilement, le jeu disparaît – et trop de choses tues que je hais… s’engouffrent, me font valser. Me, moi, moite, je cogite, je me cache trop. Tous ces mois. On ne comprend pas. Je ne cherche pas à être intelligible cela dit. Je suis assise dans ma tête. Je voudrais ne jamais en sortir. Je voudrais être je en moi. Sans qu’on se joue de moi. Sans que moi je ne sois en jeu. Mais il faut des toi, des toi pour avoir un toit, car le je tout nu, tout frêle, n’est rien sans toi, sans toiture. Il ne sait pas s’abriter, il ne sait pas moi, il ne sait que toi tu n’es pas moi mais tu es un toit pour moi, peut-être pas pour des mois. Soit, cela va de soi. Et la vie, dans tout ça. Dans tous ces espaces entre toi et moi, entre toit et mois, entre soi et le reste.

Je cherche un chez moi, et toi ?

tout ce temps

tout ce temps passé
sans
toute cette absence, toutes ces années
à se croiser
sans se regarder
tous ces visages qui se succèdent
toutes ces larmes muettes

le temps ronge mon âme de pierre
comme le sable
comme le vent

toute cette rage qui éclate
qui se brise
qui coule
de cette plaie purulente
à jamais brûlante

la soif au ventre
les heures perdues
les regrets dégringolent
s’accumulent
je voudrais les piétiner
mais je m’effrite

je n’aurais jamais été très gaie
je roule, j’enfonce, je fuis
sans être

il y a une tâche aveugle que je ne saurais effacer
qui me bouffe et m’effraie
je me heurte sans arrêt

je ne sais pas vivre

des yeux

si le souffle s’éteint
que reste-t-il à étreindre

de la boue dans la bouche
et mes mains pleines de rien

et ma main dans ta bouche
je m’ébroue ça ne fait rien

j’ai tant aimé
j’ai oublié, je vais loin

je suis seule je suis sale
je me sens mienne

conclusion

c’est la faim

Sans transition

la vie
décharge
électrique et nauséabonde
détruis-tu
tous les rêves
nos mers arides
s’effraient du peu de souffle
mourir d’hier
demain plaisante
et la faim s’absente
le mal est avancé
s’exclament les pauvres nés
loin
j’exècre ces eaux âcres
la crise croît
et toujours il fait froid

Oh, hell(o)

Excusez-moi, pardon, je trébuche. S’il vous plaît. Je vous prie. Peu importe. Comment ça va ? C’est ça oui. Va ? Donc ! Fi. Et bien ? Bien, pas loin. Ah bravo.

Et tu le sens comment ? Loin, loin. Moyen. Ca trépigne sur les joues, j’en ai mal à la mâchoire. Et tu ne fais rien ? Si je fais. Quoi ? Rien. Mais pas de négativité dans cette histoire. Tout va. Bien ? Oh, hell(o).

Tu pourrais lui dire quelque chose enfin. L’appeler. D’où ? Pour ? Si je savais quoi lui dire. Je n’aurais rien à faire. Il n’y aurait plus de problème depuis longtemps.

Tu ne vas pas attendre que ça finisse par crever ! Je me dégonfle toujours. C’est comme ça. Un jour il sera trempé de larmes. Ce sera moche, ce sera trop tard. Mais je ne peux pas. Je n’arrive pas à dire. Je ne sais pas quoi faire.

L’appât

Ah ! Elle ne se sent pas bien. Elle braille comme un putois dans sa tête. Elle fait trois claquettes avant de claquer en sanglots. Et puis en un claquement de doigts – sourire, ça ne fait rien. On tourne trois fois sur soi-même, trois fois la langue dans sa bouche, trois fois le coeur dans sa poitrine. On repart, on plonge – parce que la vie va, parce que le temps n’attend que pour nourrir notre ennui. Et ce mur, entre elle et les autres, de papier ou de verre – on va faire comme si on n’en avait que faire. Oui, on ne sait qu’en faire… Non, ça ne craquèlera jamais suffisamment. Il y a trop de vide dans cette nuée de postillons lumineux et sonores. Elle va encore détester le lendemain. Vomir sur le surlendemain. Le regard tiraillé vers l’ailleurs. Il y a tellement de chemin à faire. Toute joie n’est que saccade dans les trémolos baveux de l’existence. Cette nappe qui ne recouvre rien, cette nappe qui s’effiloche sans rien révéler – à coups de tenailles il faudrait pouvoir la saborder et révéler son envers. Une bonne fois. Parce qu’elle crève de rien et parce qu’elle est toujours un peu dégoûtante.

Contretemps

J’ai toujours un temps d’avance. Ou je pense à reculons. J’agis trop tôt, trop vite. Ou je reste figée à faire défiler mon passé. Mais le présent… Je l’enjambe. J’ai du mal à m’y mettre, pleinement, ici et maintenant. Je me dédouble toujours quand il s’agit du présent. C’est un problème. Je suis obligée d’être en perspectives. Je n’arrive pas à me laisser couler. J’anticipe. Ma pensée est toujours projetée vers un au-devant, vers un au-dehors, vers un au-delà. Je ne suis jamais là où je pense. Je ne pense jamais là où je suis. Je suis déjà partie. Au fond je suis incapable de musique, de chant, de danse. Je suis trop dans la projection pour être dans la performance. Je ne sais plus poser mon pied par terre sans penser au pas que je vais faire pour aller… je ne sais où. Je ne sais plus dire un mot sans penser à la phrase qui va l’entourer. Je ne sais plus rire sans penser au sourire qu’il va récolter. Je ne sais plus parler sans entendre le silence qui va suivre. Je fais mille choses à la fois pour gagner du temps. Pour ne pas avoir à affronter l’instant. J’ai banni le présent de ma vie par défaut, par angoisse. J’ai cassé ce fil ténu qui rend certaines choses si belles. A chaque victoire, je pense déjà à l’échec à venir. A chaque joie, je pense déjà à la déception, à la désillusion. Le bonheur, je l’effleure – et puis je pense aussitôt à sa perte inéluctable.

A chaque fois que je vis, je me sens déjà mourir. Sauf quand je me décide, pour de bon, à écrire.