à-coups

elle n’est pas loin
peut-être que ça finira bien
pour elle
ça finira
dans tous les cas

la vie tremble dans les paupières
roule sur les pieds
écrase le coeur
assèche les sens
elle n’avance pas
elle se précipite

que de routes
sans issues
que de murs
se frapper la tête
contre la vie
contre la mort
s’essouffler d’avance
d’avoir trop couru
à tire d’aile

et le gouffre
dans sa bouche
qui s’étend
à lui casser les dents
qui la ronge
jusqu’au sang

elle avale ses ennuis
elle déglutit
et dans un râle noir
le monde s’enfuit

c’est fini

Funambule

Sur un fil, il marche, il trébuche souvent, il ne cesse de s’étrangler de rire. Le vent glacé souffle dans ses côtes flottantes. Il y a comme une boule brûlante dans sa gorge. Il ne peut l’avaler ni la vomir. Elle roule, roule, inlassablement. Des petites aiguilles viennent taquiner ses yeux. Ses entrailles, en feu, gémissent parfois, il ne les entend pas, il les sent juste, bouillonner, l’air de rien, crépiter au creux de ses reins. Il avance peu, mais il avance, parfois il recule, il n’a pas trop de sens à suivre. Tu sais que je ne m’aime pas. Il ignore les projectiles qu’il reçoit en pleine figure. Ses joues sont contractées. Ses dents claquent hors de ses lèvres. Sa langue se rétracte et chatouille la boule brûlante. Ce n’est pas comme si personne ne se rendait compte de rien. Ca lui démange le bout des pieds. Des cloques, par milliers, glissent sur sa peau, éclatent, purulentes. Le jus coule entre ses doigts. Il ricane encore. Je voudrais m’asseoir mais je ne peux pas, ça me ferait trop mal. Je voudrais serrer quelqu’un entre mes bras. Le vide devant lui s’ouvre, immense. Juste ce fil, sans fin, qui s’étire, tendu, fragile, douloureux. Le plus simple serait de se laisser tomber. Si seulement tu pouvais me voir, et m’envoyer un baiser du bout des doigts. Cela me donnerait envie de progresser. Son talon dérape. Son corps est devenu tout sec à force de suppurer. Comme une brindille. Il pourrait s’évaporer dans le néant. J’ai tellement envie de croire que cela me fait mal.

Réveil

Un oeil s’ouvre brièvement, on retombe dans le sommeil, on lutte pour en sortir, en vain ; on a l’impression d’être tétanisé, paralysé, on essaie de bouger, mais l’image de son propre corps inerte reste fixe et obsédante ; et puis le corps se meut quand même, dans la réalité, alors on a l’impression de toucher quelque chose… tout en ayant cette sensation très étrange que ce n’est pas soi-même qui touche quelque chose. Pire encore quand on en vient à se toucher – par exemple, là, j’ai voulu toucher ma joue. Mes doigts l’ont touchée ; mais je n’avais que l’image de mes doigts comme morts et immobiles près de ma joue ; si bien que j’ai senti quelque chose qui touchait ma joue, sans pouvoir me dire que c’était bien mes doigts…

Il se produit comme un dédoublement carrément flippant au cours de ce rêve éveillé – les sens sont désolidarisés les uns des autres, la vue contredit le toucher. Et puis l’esprit s’en mêle ; parce que comme il se produit une situation illogique, l’esprit essaie de la justifier en rationnalisant ce qu’il se passe – mais, du coup, on tombe dans le fantastique ! Car là j’ai vraiment cru que quelque chose d’autre, qui n’était pas moi me touchait. Cet autre était forcément une menace : le corps paralysé, que me voulait cette intrusion invisible ? Donc j’ai eu un moment d’angoisse terrible.

Le problème est que la situation ne se reproduit pas qu’une seule fois – j’ai l’impression de me réveiller, mais non. J’ai ensuite la sensation de sortir de cette situation de non-réveil, mais non, toujours pas. Cela peut durer une bonne vingtaine de minutes comme ça, voire une demi heure. C’est très éprouvant. On veut que ça s’arrête, et en même temps – on a peur que l’arrêt de ces réveils successifs soit synonyme de mort