Ebauche

seule sale sad Sade (malade-if)
sale lasse masse passe basse (tête-baisse)
seule laisse baisse blesse cesse (qu’est-ce)
sale celle belle telle qu’elle (hèle-as)

Funambule

Sur un fil, il marche, il trébuche souvent, il ne cesse de s’étrangler de rire. Le vent glacé souffle dans ses côtes flottantes. Il y a comme une boule brûlante dans sa gorge. Il ne peut l’avaler ni la vomir. Elle roule, roule, inlassablement. Des petites aiguilles viennent taquiner ses yeux. Ses entrailles, en feu, gémissent parfois, il ne les entend pas, il les sent juste, bouillonner, l’air de rien, crépiter au creux de ses reins. Il avance peu, mais il avance, parfois il recule, il n’a pas trop de sens à suivre. Tu sais que je ne m’aime pas. Il ignore les projectiles qu’il reçoit en pleine figure. Ses joues sont contractées. Ses dents claquent hors de ses lèvres. Sa langue se rétracte et chatouille la boule brûlante. Ce n’est pas comme si personne ne se rendait compte de rien. Ca lui démange le bout des pieds. Des cloques, par milliers, glissent sur sa peau, éclatent, purulentes. Le jus coule entre ses doigts. Il ricane encore. Je voudrais m’asseoir mais je ne peux pas, ça me ferait trop mal. Je voudrais serrer quelqu’un entre mes bras. Le vide devant lui s’ouvre, immense. Juste ce fil, sans fin, qui s’étire, tendu, fragile, douloureux. Le plus simple serait de se laisser tomber. Si seulement tu pouvais me voir, et m’envoyer un baiser du bout des doigts. Cela me donnerait envie de progresser. Son talon dérape. Son corps est devenu tout sec à force de suppurer. Comme une brindille. Il pourrait s’évaporer dans le néant. J’ai tellement envie de croire que cela me fait mal.

1:35 A.M.

Pensées d’adultes dans l’air. C’est très bizarre. Je ne pensais pas que cela arriverait. Ca n’est pas très sérieux. C’est volatile et tourmenté. Ca prend des airs, de grands airs de rien. Je me suis demandée ce que cela pourrait faire. J’ai compris que c’étaient de mauvaises raisons. Une mauvaise conjugaison. Une faute de frappe. J’ai joué, j’ai beaucoup trop joué. Cela me brûle. Je sais que je dois me taire, arrêter, cela. C’est trop cruel. Mais je n’y peux rien. C’est une impulsion subite, cruelle. Toutes ces revanches à prendre, perdues d’avance. C’est souvent trop facile. J’ai toujours soif de ces choses-là.

Sourire

J’étais en primaire. En CE1, il me semble. J’étais chouchou de mon professeur. J’avais une bande d’amies farouchement décidées à me materner. Pendant longtemps, j’ai suscité un sentiment maternel chez mes copines – jusqu’à ce que je me décide à être méchante. J’étais petite, fluette, frêle. Je le suis toujours un peu. Mais maintenant je regarde, fixement, dans le vague, je crois, et je souris avec un soupçon de tristesse ou de moquerie – cela refroidit, souvent, les ardeurs caressantes qui me verraient comme un petit animal à protéger. Je suis toujours un petit animal – mais farouche, nerveux, sensible. Je sais me faire caresser dans le bon sens du poil – mais je m’éclipse, j’évite, très vite, je m’essouffle, je glisse. Je veux disparaître. En CE1, une fois, une fille de la classe de CP m’a dit que je ressemblais à un vampire. Je ne pense pas avoir été tellement blessée par la remarque. Je ne savais comment la prendre. En vérité j’avais un trou dans mon sourire. Je n’ai pas eu d’incisives supérieures jusqu’à l’âge de 8 ou 9 ans. Me restaient seulement les deux canines. Et plein d’autres dents cassées dans mon sourire. J’ai très peu souri sur les photos de mon enfance. Je riais plutôt à gorge déployée quand, parfois, on me prenait sur le vif. Mais sinon – je mâchais mes dents pour les faire disparaître, la mine inquiète. Je n’ai pas été blessée par le fait d’être vampire – mais tout le monde autour de moi s’est offusqué à ma place et a forcé cette gosse de CP, qui ne pensait pas forcément à mal – je me souviens encore son visage, ses cheveux noirs et bouclés, ses lunettes, son air désinvolte, qui ne savait pas ce qu’elle avait fait de mal. Et toutes ces voix, vindicatives – excuse-toi, etc. J’ai commencé à souffrir à partir du moment où j’ai vu tout le monde s’énerver pour moi. J’ai souvent ressenti les choses à rebours. Si la réaction du groupe avait été autre – comme quoi, je sais pas, si on avait trouvé qu’un vampire ça peut être sexy et classe, ainsi que je le pense aujourd’hui – j’aurais pu prendre la chose avec plus de légèreté. Mais il fallait souffrir de cette brimade. Aujourd’hui je suis toujours un vampire. Je le suis pour de bon, à dire vrai. Je veux boire le désir, l’amour des autres jusqu’à la lie. Je dévore du regard le monde, les détails, les riens. Je me désespère toujours de n’être pas suffisamment en vie. Je ne souris jamais à pleines dents. Je ris, surtout. Je continue d’avoir cet espèce de pincement à chaque fois qu’un sourire me prend. Je souris souvent de manière incompréhensible. Rares sont les personnes qui parviennent à me faire sourire. Et à me faire sourire joyeusement, me faisant oublier ce brin d’amertume qui me pince les sourcils.

Extrait du Fou d’Elsa – Aragon

Il y a des choses que je ne dis a Personne Alors
Elles ne font de mal à personne Mais
Le malheur c’est
Que moi
Le malheur le malheur c’est
Que moi ces choses je les sais

Il y a des choses qui me rongent La nuit
Par exemple des choses comme
Comment dire comment des choses comme des songes
Et le malheur c’est que ce ne sont pas du tout des songes

Il y a des choses qui me sont tout à fait
Mais tout à fait insupportables même si
Je n’en dis rien même si je n’en
Dis rien comprenez comprenez moi bien

Alors ça vous parfois ça vous étouffe
Regardez regardez moi bien
Regardez ma bouche
Qui s’ouvre et ferme et ne dit rien

Penser seulement d’autre chose
Songer à voix haute et de moi
Mots sortent de quoi je m’étonne
Qui ne font de mal à personne

Au lieu de quoi j’ai peur de moi
De cette chose en moi qui parle

Je sais bien qu’il ne le faut pas
Mais que voulez-vous que j’y fasse
Ma bouche s’ouvre et l’âme est là
Qui palpite oiseau sur ma lèvre

O tout ce que je ne dis pas
Ce que je ne dis à personne
Le malheur c’est que cela sonne
Et cogne obstinément en moi
Le malheur c’est que c’est en moi
Même si n’en sait rien personne
Non laissez moi non laissez moi
Parfois je me le dis parfois
Il vaut mieux parler que se taire

Et puis je sens se dessécher
Ces mots de moi dans ma salive
C’est là le malheur pas le mien
Le malheur qui nous est commun
Épouvantes des autres hommes
Et qui donc t’eut donné la main
Étant donné ce que nous sommes

Pour peu pour peu que tu l’aies dit
Cela qui ne peut prendre forme
Cela qui t’habite et prend forme
Tout au moins qui est sur le point
Qu’écrase ton poing
Et les gens Que voulez-vous dire
Tu te sens comme tu te sens
Bête en face des gens Qu’étais-je
Qu’étais-je à dire Ah oui peut-être
Qu’il fait beau qu’il va pleuvoir qu’il faut qu’on aille
Où donc Même cela c’est trop
Et je les garde dans les dents
Ces mots de peur qu’ils signifient

Ne me regardez pas dedans
Qu’il fait beau cela vous suffit
Je peux bien dire qu’il fait beau
Même s’il pleut sur mon visage
Croire au soleil quand tombe l’eau
Les mots dans moi meurent si fort
Qui si fortement me meurtrissent
Les mots que je ne forme pas
Est-ce leur mort en moi qui mord

Le malheur c’est savoir de quoi
Je ne parle pas à la fois
Et de quoi cependant je parle

C’est en nous qu’il nous faut nous taire

Saoule

Les yeux qui me piquent. De froid, de fatigue. Des larmes enfouies au creux de mes paupières. Une bouche au goût de bière. Faim. Rien. Je ne sais pas, bordel, je ne sais pas. Si ça va. Où je vais. Je me paralyse. Je me tais. Je n’ai plus envie.

Disparaître plutôt que paraître. Haleter plutôt qu’étouffer. Je voudrais m’allonger et dormir, sans avoir à penser à demain, aux autres, aux autours. Lèvres salées, écorchées, et sales. Je m’essuie mais rien ne part. Tout reste incrusté, lancinant. Je m’énerve, je m’exaspère. J’ai trop de dents serrées contre ma langue. Je crache mais rien ne vient. Je tousse et je m’étrangle. Trop de borborygmes qui remuent mon ventre. Creusent dans mon âme des sillons étranges et puants. Glaucome des pensées alentours. Cela me fait si froid dans le dos. Froid comme un animal mort qui voudrait s’immiscer sous ma peau. Solitude effarante. Je ricane et je frissonne. Et toute cette rancoeur. Je n’en finirai jamais. Et pourtant quelle nausée !

Ca va ?

La personne normale répond par un “ça va” courtois et souriant.
La personne chiante commence à te dire “ça va pas” et à te raconter la dernière tuile qui lui est arrivée chez le boulanger, chose dont tu te contrefous sévère.
La personne dépressive te demande pourquoi tu lui demandes ça. Elle peut même aller jusqu’à te faire une analyse de l’absurdité de la question, à maugréer sur les personnes normales ou sur les personnes chiantes et sur la manière dont elles peuvent répondre.
La personne névrotique réplique qu’elle ne sait pas où elle va.
La personne psychotique rétorque qu’elle ne va nulle part et que tu n’as pas à la suivre là où elle va.