Saoule

Les yeux qui me piquent. De froid, de fatigue. Des larmes enfouies au creux de mes paupières. Une bouche au goût de bière. Faim. Rien. Je ne sais pas, bordel, je ne sais pas. Si ça va. Où je vais. Je me paralyse. Je me tais. Je n’ai plus envie.

Disparaître plutôt que paraître. Haleter plutôt qu’étouffer. Je voudrais m’allonger et dormir, sans avoir à penser à demain, aux autres, aux autours. Lèvres salées, écorchées, et sales. Je m’essuie mais rien ne part. Tout reste incrusté, lancinant. Je m’énerve, je m’exaspère. J’ai trop de dents serrées contre ma langue. Je crache mais rien ne vient. Je tousse et je m’étrangle. Trop de borborygmes qui remuent mon ventre. Creusent dans mon âme des sillons étranges et puants. Glaucome des pensées alentours. Cela me fait si froid dans le dos. Froid comme un animal mort qui voudrait s’immiscer sous ma peau. Solitude effarante. Je ricane et je frissonne. Et toute cette rancoeur. Je n’en finirai jamais. Et pourtant quelle nausée !

Réveil

Un oeil s’ouvre brièvement, on retombe dans le sommeil, on lutte pour en sortir, en vain ; on a l’impression d’être tétanisé, paralysé, on essaie de bouger, mais l’image de son propre corps inerte reste fixe et obsédante ; et puis le corps se meut quand même, dans la réalité, alors on a l’impression de toucher quelque chose… tout en ayant cette sensation très étrange que ce n’est pas soi-même qui touche quelque chose. Pire encore quand on en vient à se toucher – par exemple, là, j’ai voulu toucher ma joue. Mes doigts l’ont touchée ; mais je n’avais que l’image de mes doigts comme morts et immobiles près de ma joue ; si bien que j’ai senti quelque chose qui touchait ma joue, sans pouvoir me dire que c’était bien mes doigts…

Il se produit comme un dédoublement carrément flippant au cours de ce rêve éveillé – les sens sont désolidarisés les uns des autres, la vue contredit le toucher. Et puis l’esprit s’en mêle ; parce que comme il se produit une situation illogique, l’esprit essaie de la justifier en rationnalisant ce qu’il se passe – mais, du coup, on tombe dans le fantastique ! Car là j’ai vraiment cru que quelque chose d’autre, qui n’était pas moi me touchait. Cet autre était forcément une menace : le corps paralysé, que me voulait cette intrusion invisible ? Donc j’ai eu un moment d’angoisse terrible.

Le problème est que la situation ne se reproduit pas qu’une seule fois – j’ai l’impression de me réveiller, mais non. J’ai ensuite la sensation de sortir de cette situation de non-réveil, mais non, toujours pas. Cela peut durer une bonne vingtaine de minutes comme ça, voire une demi heure. C’est très éprouvant. On veut que ça s’arrête, et en même temps – on a peur que l’arrêt de ces réveils successifs soit synonyme de mort